Automatismes

Longtemps, j’ai observé ce phénomène de l’extérieur. Me croyant hors de portée, bien trop prudent pour que cela m’atteigne. Je n’en voulais pas, souhaitant être à jamais dissocié de ceux atteints par le virus. Puis vient l’acceptation progressive, afin d’être plus en phase avec moi-même. Aujourd’hui, je peux vous l’annoncer, non sans émotion : j’ai des TICs.

Des Troubles Intempestifs de Comptoir.

Chaque nouveau passage dans une officine, je voyais exercer une nouvelle équipe. Je notais rapidement avec l’effarement le plus total, bouche monstrueusement ouverte, que chacun possédait des TICs. Ses TICs même. Construits au fur et à mesure de leur formation, puis de leurs postes successifs, pour devenir des automatismes flagrants. Par effet miroir, je me rassurais en me disant que je n’en avais aucun. Mais ça, c’était avant.

Pour les décrypter, il m’est nécessaire de vous relater une délivrance de médicaments vu de mon cerveau. N’oubliez pas vos casques et parachutes.

Une dame/demoiselle/monsieur entre dans l’officine, je souris. Mais pas d’un sourire naturel, non. Un sourire des lèvres sans visibilité dentaire, techniquement parlant. Les lèvres en V, le menton chevrotant pour ne pas sourire trop fort. Aucune crème antirides ne saurait mieux tendre la peau de mes joues à cet instant. Les contractures musculaires faciales de fin de journée sont assez magiques elles aussi.

Je lis ensuite l’ordonnance, regarde le patient et demande toujours : « je vous mets tout ? ». Archaïque. Mal placé. Grammaticalement horrible. Je le sais, mais ne peux m’empêcher de le répéter. C’est quelque chose que j’ai petit à petit intégré à mes automatismes. Le plus souvent, le patient ne comprend pas tout de suite à quoi je fais allusion. Une analyse rapide montre en effet que cette question peut être la source de nombreux quiproquos, plus ou moins pharmaceutiques. C’est utile cependant, évitant de ramener 25 médicaments pour que le patient vous dise finalement : « ah mais non, je voulais seulement la petite ampoule de vitamine D! ».

D’autres TICs physiques prennent la suite. Je me tiens droit comme un balai neuf bien accroché à son clou. Mon doigt glisse sur chaque ligne de l’ordonnance. Je croise mes mollets. C’est ma position optimale de délivrance. Mes neurones doivent pouvoir s’oxygéner en hauteur, tandis que mes pieds évitent de s’échauffer. Ne me demander par quel entrainement j’en suis arrivé là, je ne le sais point. J’y vois une réincarnation partielle d’une pointure du yoga antique.

Je parle parallèlement dans mon absence de barbe, de façon toujours inaudible.

« Hum, alors là, mmmmh, qu’est ce qu’il nous a mis ce médecin…mmmmh, ouioui »

Quoi que parfois pas suffisamment bas, apparemment  :

« alalala mais qu’est ce que c’est que ce produit déjà…? » -> le patient : « ah vous ne connaissez pas ? » sisi, voyons, enfin, je vois tout à fait ce dont il s’agit.

« mais qu’est ce qu’il a bien pu écrire avec ses pieds…, » -> « vous n’arrivez pas à lire ? » sisi……..Bordel, où sont mes jumelles!

« nan mais ça ne peut pas être son prénom, ça… » -> « sisi, je vous assure. » Hum. Passons.

Le plus effroyable de mes TICs reste le « Et voilà! » de fin de délivrance. Il m’arrive aussi de dire « Et voici! », pour varier. Choix totalement incontrôlé. J’ai l’impression, après coup, d’être un enfant qui vient de terminer de gonfler son ballon. D’être un adolescent qui vient de finir de ranger sa chambre. D’être un adulte qui sort un lapin de son chapeau.

Fort heureusement, je ne suis pas seul.

24 réponses à “Automatismes

  1. et le « aurvoirmerci » que tu adoptes irrémédiablement et que tu lâches à chaque sortie de boutique, même en tant que client, dès que tu as bossé dans les métiers d’accueil. une horreur, souvent couplée du fameux sourire automatique, plus neutre tu meurs.

    • C’est un peu vrai. Je fais des choses trop reconnaissables et particulières pour être avouées, notamment. Le salto après un diabétique, notamment.

  2. Incroyable ! J’ai l’impression de me voir !! J’ai les mêmes TICs Oo
    Ca fait limite peur, qu’au bout de 1 an j’ai déjà les automatiques et toujouts les mêmes questions, reflexions !
    Sympa cet article

  3. Pour le sourire, fait gaffe, avec l’âge ça donne des rides qui partent des coins de la bouche vers le nez (elles ont un nom mais… Ne me cherche pas veux-tu?!). Elles permettent de reconnaître les professionnels qui sont en contact avec « les gens » (boulangère, pharmacien, hôtesse de l’air…) et sont contraints au sourire faux-cul. Le lifting devrait d’ailleurs être pris en charge par la sécu au titre des maladies professionnelles.

    Autre TIC: les mercis! Quand on te tend l’ordonnance, la CV, la carte de mutuelle, la CB, quand on te rend le TPE après composition du code… 15 fois merci parce que je suis une fille bien élevée par sa maman. Tu l’as aussi celui-là??

  4. Le pharmacien de ma commune vient de changer, je ne le connais pas encore, donc je ne connais pas ses TICS de lecture. Mais, j’essaie toujours de faire un check avant toute délivrance de médicaments, comme ça je précise si je souhait tout ou pas où si on ajoute qq chose 🙂

  5. Je lis, je m’esclaffe, et mon collègue pharmacien lance un « non mais il n’y a que toi pour te marrer comme ça en lisant ta biblio »… Voilà voilà, c’est ça… Pfff, aucun humour ces pharmaciens hospitaliers ^^

    Bref, j’ai ri, comme d’hab’ ;p

  6. N’oublions pas le:
    – il vous fallait autre chose? (Équivalent au « et avec ceci? Ça sera tout? » De la boulangère)
    – je vous mets l’ordonnance dans le sac!
    – merciaurevoirmadamebonjour dès que il y a du monde qui attend: l’art de l’enchainement

  7. En changent de région, j’ai abandonné le « As ti toi? », contre le « Mad? », parfois je regrette, surtout au niveau de la réponse, le 3mad§ » me paraissant un rien court par rapport au « As va, et ti as va? ».
    Sinon, gros tic, je saute dés que j’ai chopé le nom de mon client, dans son historique, même si c’est le plombier qui vient rendre les clefs de la voisine, automatique, je vous dis.

  8. Je vois que je ne suis pas la seule à sortir le « Et voilà » à chaque fin de délivrance! Je place toujours aussi le « je vous ai mis l’ordonnance dans le sachet » , ou « Est ce que vous voulez le ticket de caisse? » après un achat quelconque. Et comme arabeshagya je dis « Merci » à tout bout de champ! 🙂

    • YES! Any place where you can leave your kids to their own devices while you sip on cocktails is worth a visit! Did you take a dip in the pool yet? I know yo78u&21#;re working, but you gotta have some play time, yeah?

  9. Rassure-toi (ou inquiète-moi… ?) il m’arrive la même chose au cabinet !
    « Je vous écoute », « Et jusqu’ici, qu’avez-vous pris pour vous soulager… ? » et tant d’autres… Merci pour tes posts toujours si pertinents !

  10. Moi c’était « Pour le coup », ou « Du coup », jusqu’au regard amusé et lubrique d’un patient… Fini !

  11. Putain moi, c’est le « hop », quand je prend l’ordonnance, quand je glisse la CV dans le lecteur etc… raaaah, c’est chiant :!

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